Rétractation ? Et alors ?…

Il était une fois un homme qui découvrit le soleil à midi. Il fut si fier de sa trouvaille qu’il en vint à sous-entendre dans toutes ses vanteries que le soleil ne serait rien sans lui.

Et ses admirateurs, peu avares de grossièreté, de répandre la bonne nouvelle.

Voici donc qu’on a récemment découvert que le Père Guérard des Lauriers avait écrit une lettre dans laquelle il affirme abandonner ce qu’on a nommé la « thèse de Cassiciacum », et de le faire en raison d’erreurs théologiques dont elle est grevée.

Cette découverte serait si exaltante et si opportune qu’elle constituerait un « merveilleux cadeau de Noël 2019 ».

Il est temps de siffler la fin de la récréation.

* * *

La première chose à remarquer est que ladite lettre est disponible depuis au moins cinq ans sur la toile http://users.skynet.be/histcult/0%20libechut.htm — pour ma part, je l’ai téléchargée en 2014 si j’en crois mon gestionnaire de fichiers : il est donc grandement abusif de crier à la nouveauté, à la découverte, au scoop. Pauvres gens ensevelis dans un univers publicitaire, antipode de la vie intérieure, de l’étude, de la réflexion, de la primauté de la contemplation.

La seconde chose à remarquer est que le Père Guérard des Lauriers ne réfute pas la « thèse de Cassiciacum », mais il la rétracte. Il l’abandonne, c’est ce qu’il déclare, mais il ne dit pas l’objet de son abandon : reconnaît-il désormais l’autorité de Paul VI & successeurs ? Devient-il sédévacantiste simpliciter ? Est-ce la nature inductive du fondement de sa thèse qu’il récuse ? Est-ce la distinction materialiter/formaliter qu’il se refuse d’appliquer désormais à Paul VI & successeurs ?

C’est bien simple, il n’en dit rien, il n’en laisse rien filtrer. Il accomplit une rétractation dont l’objet et le motif précis ne sont pas mentionnés. Il n’y a pas l’ombre d’une réfutation. C’est encore un leurre publicitaire que d’affirmer le contraire.

Personne n’a jugé la « thèse de Cassiciacum » vraie en raison de la personne du Père Guérard des Lauriers, même si celle-ci induit à considérer ladite thèse avec sérieux et attention. Tel est du moins l’ordre des choses. Ce qu’il a écrit est vrai ou faux indépendamment de sa personne : il l’a suffisamment exposé, analysé, étayé, illustré pour qu’il puisse en être ainsi. Une rétractation de sa part peut conduire à se replonger dans l’étude, mais ne peut nullement faire abandonner en raison de sa personne (rétractant) ce qui n’a pas été approuvé en raison de sa personne (affirmant).

Pourquoi, d’ailleurs, faudrait-il attribuer plus d’autorité au Père Guérard se rétractant qu’au Père Guérard affirmant ? Sur quel critère faudrait-il se fonder ?

Le Père Guérard a élaboré sa thèse en prenant son temps (au moins de 1975 à 1978), dans la paix de l’oraison et l’indépendance de la réflexion, soumettant l’état de ses travaux à quelques disciples aptes à lui présenter des objections, des critiques ou des demandes d’éclaircissement.

À l’inverse, sa rétractation semble bien limitée et ténue, faite sous on ne sait quelle pression (il est bien connu qu’il y était devenu extrêmement sensible).

On ne peut s’empêcher de penser à la fameuse « rétractation » du Cardinal Ottaviani, censé retirer sa signature de la présentation du Bref examen critique du nouvel ordo missæ de Paul VI. En son temps, Jean Madiran fit bonne justice de ces fausses allégations sans fondement (Supplément à Itinéraires n. 142, février 1970).

Quoi qu’il en soit, les raisons qui sous-tendent la « thèse de Cassiciacum » sont toujours présentes, et les faits sur lesquels elle se fonde perdurent.

Plus encore, les principes qu’elle met en œuvre sont toujours aussi impérieux et fondamentaux : nécessité de demeurer à l’intérieur de l’acte de foi, et de ne pas énoncer une conclusion qui aille au-delà de ses prémisses ; refus d’affirmer une rupture dans l’apostolicité de l’Église, laquelle n’est pas simplement une propriété de l’Église, mais en est une note qui permet de la reconnaître ; tenir un compte exact de l’absence d’autorité qui rend le discernement (ecclésialement communicable) de l’hérésie difficile voire impossible ; parti pris de prouver moins, mais avec une certitude plus grande qui entraîne l’assentiment de l’esprit et fonde une attitude vraie et justifiée à l’égard des prétendues « autorités romaines ».

La lettre du Père Guérard des Lauriers n’énonce et n’explique aucune raison proportionnée de changer d’avis.

* * *

N’appartenant pas à une des deux catégories dignes d’attention et de créance (les clercs décédés et les « laïcs compétents »), n’étant point millésimé « docteur en histoire », je crains que les lignes écrites ci-dessus n’atteignent pas (au sens propre ou au sens figuré) ceux qu’elles pourraient peut-être aider à réfléchir.

La vie de la foi n’est pas un appel à se rallier au panache blanc de quelques tapageurs, mais un amour de la vérité révélée et de la doctrine de l’Église, lequel requiert prière, étude des documents du Magistère et réflexion.

Abbé Hervé Belmont

Post scriptum.

À cette occasion, on ressort les vieilles incompréhensions ridicules et l’on fait assaut d’univocisme, montrant une incapacité à penser selon l’analogie.

Si j’affirme que deux enfants sont comme chien et chat, je ne prétends pas que l’un aboie et que l’autre miaule. Je veux simplement signifier qu’il y a entre eux un climat de querelle qui est semblable à celui qui existe entre un chien et un chat vivant sous le même toit : ils sont antagonistes perpétuels, rivaux et pourtant inséparables.

La distinction materialiter/formaliter appliquée au pape signifie simplement qu’il y a entre le sujet du pontificat et l’autorité du pontife une distinction, une tension, qui ressemble à celle qui existe entre la matière et la forme.

Cette ressemblance concerne trois aspects : ad (ordination de la matière à la forme), unité du « composé », nécessité d’une ultime disposition qui se tient du côté de la matière mais qui est produite par la forme.

Ce n’est en rien affirmer qu’il y a deux principes substantiels dans le souverain Pontificat, et autres fariboles de ce genre. L’univocisme a encore frappé !

Recourir à l’ouvrage de Mgr Farges Matière et forme relève de la mauvaise plaisanterie. Je n’ai pas lu ce livre, je ne sais s’il est médiocre ou de valeur. Mais, à l’évidence quand on consulte la table des matières, il s’agit d’un livre de philosophie de la nature (avec l’incursion en métaphysique qu’elle postule) ; nulle part il n’est traité ex professo de l’utilisation analogique de la distinction matière/forme, et encore moins de la distinction materialiter/formaliter.

Ceux qui s’en vont répétant qu’il n’y a pas de matière sans forme (ce qui est vrai de la constitution intime de l’univers matériel) ne font que manifester leur inaptitude à rejoindre la réalité en dehors de leur univers mental.

Diront-ils pareillement que leurs péchés matériels (actes objectivement mauvais commis par maladresse, par ignorance non-imputable, par erreur innocente ou illusion indétectable) sont tous des péchés formels ? Non, évidemment ! Et pourtant, dans leur logique, ils devraient : Allez ! Ouste ! au confessionnal sans tarder !

Ceux qui veulent s’informer à meilleure source pourront toujours se procurer le n. 1 des Cahiers de Cassiciacum, en vente :

ou bien à défaut (voire comme complément) consulter :

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