La contrition et l’attrition

En toutes choses, la bonne doctrine est nécessaire et secourable : d’abord parce que l’homme est fait pour connaître et contempler la vérité ; ensuite parce qu’elle est une lumière qui permet d’agir droitement, en évitant l’action aveugle ou désordonnée qui entraîne bien loin de la fin qu’on se proposait à l’origine.

Cela est vrai pour notre gouvernement personnel, ça l’est aussi (et davantage) pour conduire une société (famille, paroisse, atelier, entreprise, organisation professionnelle, Cité…) au bien commun dans lequel ses membres trouveront leur perfectionnement et leur perfection.

C’est dans l’ordre surnaturel que la nécessité de la bonne doctrine culmine, puisque et la réalité et notre fin et les moyens adéquats à mettre en œuvre ne nous sont connus que par la doctrine de la foi.

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La doctrine qui concerne la nature et les conditions de la rémission des péchés a été embrouillée à l’envi par des courants théologiques fortement marqués par le volontarisme et l’univocisme : revenir à saint Thomas d’Aquin (et au concile de Trente qui s’en inspire) est une lumière qui apporte paix et admiration tant pour l’ordre divin de la justice que pour la profondeur de la miséricorde de Dieu.

Cette bonne doctrine est notamment nécessaire pour éradiquer un état d’esprit assez commun, qui paralyse les âmes, gauchit leur attention, les plonge dans le scrupule, les stérilise à l’égard du règne de Jésus-Christ.

L’objet de la religion (prise dans un sens large : vertus de foi, d’espérance, de charité, de religion, d’obéissance, de pénitence ; culte divin), ce n’est pas nous (évidemment), ce n’est même pas notre relation à Dieu, ce n’est pas notre état devant Dieu, ce n’est pas notre conscience ; l’objet de la religion, c’est Dieu lui-même !

Notre souci premier ne doit surtout pas être l’acquisition d’impossibles certitudes nous concernant (suis-je en état de grâce etc.) mais de connaître Dieu et de faire ce qu’il faut pour lui plaire, en particulier ce qu’il faut faire pour sortir du péché (aveu, contrition, ferme propos), pour éviter le péché.

Si Dieu ne nous donne pas un moyen direct de discerner si nous sommes en état de grâce, c’est que nous n’en avons pas besoin ! Et nous n’avons nul besoin de nous poser mille fois la question, de nous scruter, de nous analyser : c’est inutile et morbide, c’est un détournement d’attention.

Ce que Dieu attend de nous, c’est que nous agissions pour l’aimer dessus tout : prière, détestation de tout ce qui nous sépare de lui, fuite des occasions, recours aux sacrements, amour vrai du prochain.

Dès lors, cessons de nous torturer, de tout ramener à nous-même. Agissons : la vertu est un habitus opératif, opératif de la foi et des œuvres de la foi (étude, méditation, contemplation), de l’espérance et des œuvres de l’espérance (prière, confiance, estime des biens surnaturels, pureté d’intention) et de l’accomplissement la charité (observation des commandements, amour du prochain, sacrements, présence de Dieu, imitation de Jésus-Christ, tendresse spirituelle pour Dieu).

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Voici donc une étude non seulement abordable et intéressante, mais très éclairante. Saint Thomas d’Aquin affirme en même temps la nécessité de la contrition pour être en état de grâce, et la suffisance de l’attrition pour recouvrer l’état de grâce dans le sacrement de Pénitence. Comment résoudre cette aporie ?

La lumière qu’apporte saint Thomas rend éclatante – et consolante – l’unité entre d’un côté la grande exigence de la sainteté Dieu, et de l’autre la miséricorde de la Rédemption tout aussi grande sinon davantage.

Suit un petit résumé-complément, qui ne prend tout son sens qu’après la lecture de « Attrition et contrition chez saint Thomas d’Aquin ».

Bref résumé et complément

D’une part, seule la charité [théologale] détruit le péché ; d’autre part, l’absence de péché [mortel] est nécessaire pour la présence de la charité dans l’âme 1. Tout le mystère de la justification gît dans cette double précession qui, on le voit, est humainement insoluble. Cela manifeste combien le salut est une grâce de Dieu purement gratuite, qui ne se peut mériter (mais qui s’obtient de sa miséricorde par une prière assidue – laquelle est aussi une grâce).

Il y a une vérité corrélative : une âme est soit en état de grâce, soit en état de péché mortel [originel ou personnel] ; il n’y a pas de troisième terme possible, en raison de notre élévation à l’ordre surnaturel : charité et péché sont deux contradictoires dans l’âme humaine.

Un acte de contrition parfaite n’est autre chose qu’un acte de charité parfaite. Chez le pécheur (celui qui est tombé en péché mortel), il est la forme nécessaire de la charité, et en tant que tel il détruit le péché. Cette contrition parfaite s’identifie doublement à l’amour de Dieu : par son objet (détester ce qui offense Dieu, ce qui sépare de lui) et par son motif.

L’attrition, elle, est relative à l’amour de Dieu par son objet, puisqu’elle fait détester le péché en tant qu’offense à Dieu, mais non par son motif (la crainte des châtiments promis par Dieu au pécheur – qui est tout de même un motif surnaturel, objet de foi). C’est pourquoi elle n’est que contrition imparfaite, elle n’est pas charité, elle est impuissante à détruire le péché.

L’attrition est donc un certain amour de Dieu : elle est une grâce surnaturelle, mais elle est un amour intéressé, un amour qui revient sur soi, un amour insuffisant pour détruire le péché, un amour indigne de Dieu (non parce qu’il serait mauvais, mais il est insuffisant). En cela, l’attrition est analogue à l’espérance.

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Per sacramentum, attritus fit contritus. Un sacrement reçu avec les dispositions nécessaires donne la charité ; et donc, si l’on était en état de péché mortel, il donne la grâce de la contrition parfaite qui détruit le péché. Cela se produit au moment où la grâce sanctifiante est infusée, dans le même acte, c’est-à-dire à l’instant où le sacrement est conféré.

Avec les dispositions nécessaires… L’attrition est une disposition suffisante uniquement pour les sacrements dits « des morts », le Baptême et la Pénitence. Pour les cinq sacrements des vivants, être en état de péché mortel et simplement attrit rend sacrilège leur réception. Ce n’est que per accidens que l’attrition pourrait être une disposition suffisante : au cas où, de bonne foi, on est persuadé d’y apporter les dispositions nécessaires (de véritable bonne foi, avec une raison objectivement fondée à cette persuasion). Alors, attritus fit contritus, et le sacrement des vivants détruit le péché et confère la grâce sanctifiante 2.

À plus forte raison, pour tout sacrement, si celui qui est en état de péché mortel n’a même pas l’attrition, l’effet de grâce du sacrement ne peut exister, et il y a sacrilège.

Sous l’Ancien Testament – entre le péché originel et l’Incarnation rédemptrice – les grâces étaient données aux hommes en prévision des mérites de Jésus-Christ. Dans l’économie de la Loi nouvelle, la grâce sanctifiante est en plus donnée par l’instrument de sa sainte humanité ; elle est donc nécessairement incorporante à son Corps mystique. Aussi, les sacrements sont-ils les moyens institutionnels de l’octroi de la grâce divine ; il y a donc une nouvelle obligation qui vient de la nature même des choses : pour être en état de grâce et pour le salut éternel, il y a une nécessité de nature de réception de l’effet des sacrements (quant à la grâce sanctifiante et incorporante) et il y a une nécessité de précepte de réception effective du Baptême (pour tous) et de la Pénitence (pour les pécheurs). En conséquence il y a obligation de recevoir le sacrement in re : en réalité (dans les cas normaux) ; ou in voto explicite vel saltem implicite : en désir explicite, ou au moins implicite (dans des cas extra-ordinaires).

Notes

  1. Une opposition analogue existe entre ferveur de la charité et péché véniel
  2. Il faudrait aussi évoquer, à ce propos, le cas de l’Extrême-Onction reçue par un sujet inconscient, mais cela demanderait des développements hors de propos

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