Communion sans confession

Après un péché mortel, peut-on, en cas de nécessité, communier en se contentant de faire un acte de contrition parfaite ?

Réponse de l’Ami du Clergé (1934, pp. 605-606) et commentaires de Quicumque.

Question. Arregui dans son Summarium Theologiæ moralis, p. 339, 5e édition, à propos de la communion des fidèles conscients d’un péché mortel et n’ayant pas de confesseur à leur disposition, écrit :

« Necessitas communicandi difficilius adest, at censetur haberi, cum sine gravi nota vel suspicione communionem omittere non possis. — La nécessité de communier est fort difficilement présente, mais elle est censée exister, dans le cas où la communion ne peut être omise sans qu’on se fasse gravement remarquer ou soupçonner. »

Se fondant sur cette affirmation, une dévote ou une religieuse, habituée à la communion quotidienne, ayant péché mortellement dans la nuit, peut-elle, parce que son entourage sera porté à la soupçonner ou à la croire coupable, faire l’acte de contrition parfaite et aller communier ?

On suppose qu’il n’y a pas de confesseur abordable, dans le cas.*]

Réponse. — Dans sa teneur générale, la loi de l’Église touchant la communion des laïques est précise. À la confession préalable de rigueur pour le fidèle qui se reconnaît coupable de péché mortel, elle fait l’exception suivante :

« Quod si urgeat necessitas ac copia confessarii illi desit, actum perfectæ contritionis prius eliciat — en cas de nécessité urgente et d’absence de confesseur, il fera d’abord un acte de contrition parfaite »

(Can. 856).

Mais quand il s’agit d’apprécier la nécessité de communier, les avis sont partagés, et cela se comprend. Ceux qui sont plus intéressés estimeront facilement qu’il y a nécessité là où les autres ne verront qu’une utilité ou même une simple convenance.

Si vous consultez la dévote ou la religieuse, elles n’hésiteront pas à penser qu’elles sont dans le cas d’exception prévu par la loi. La sainteté habituelle de leur vie sans doute, mais aussi leur imagination, le sentiment secret d’orgueil blessé à la simple pensée qu’on pourrait soupçonner l’état de leur conscience, et le diable enfin exploitant ces dispositions, tout concourt à leur démontrer clair comme le jour la nécessité, l’urgence pour elles de communier, afin de sauvegarder leur réputation. Si, dans cet état de conscience ainsi formée, elles communient, leur confesseur ne les gourmandera pas, en raison de leur bonne foi. Mais il pourra se demander si leur conscience n’est pas à réformer.

Ces braves personnes, si chatouilleuses quand il y va de leur réputation de perfection parmi leurs pareilles, ne pourraient-elles pas aussi raisonner autrement, et songer à leur réputation réelle devant Dieu ? Et ne devraient-elles pas avoir meilleure opinion de leur prochain ? Les autres dévotes, les autres sœurs, habituées aussi de la communion quotidienne, auront la charité de ne pas penser mal et trouveront l’excuse charitable. Oh ! c’est si simple de penser premièrement que l’indisposition vient du corps : on a dû prendre un cachet, une médecine, après minuit ! Et quand encore on l’attribuerait à l’âme, ne serait-ce pas pour dire : « C’est une âme délicate, qui a eu quelque scrupule ce matin. »

Vous voyez qu’il est facile de raisonner dans les deux sens.

Notre avis, à nous, objectivement ? Tant pis si l’on nous trouve rigoriste : nous pensons que, dans les conjonctures décrites, la dévote ou la religieuse ne doit pas communier. Nous estimons que la possibilité de soupçon ne constitue pas pour elles la necessitas communicandi, qui, vous a dit Arregui, « difficilius adest ». La note d’infamie encourue pour l’omission de la communion est illusoire. Le soupçon n’en est que peu probable dans leur milieu, et fût-il réel, qu’il serait destiné à tomber, car il ne serait pas fondé : la charité envers le prochain devant vite reprendre ses droits.

Pour le redire en passant, de tels cas troublants pour les consciences ne se poseraient pas si la charité entre fidèles était mieux comprise, et si les habitués de la communion quotidienne remplaçaient quelquefois la communion sacramentelle par la communion spirituelle.

Commentaires de Quicumque

1°/ Cet avis n’est pas rigoriste, mais de bon aloi. La crainte de paraître rigoriste peut gauchir l’esprit, il faut grandement s’en méfier. Le secret désir de paraître rigoriste serait pire.

Il faut noter qu’Arregui se contente de parler de nécessité, là où la loi de l’Église parle d’urgente nécessité (si urgeat necessitas). Il gaze le problème et oriente ainsi sa solution.

Ce qui nous intéresse, c’est la vérité morale, cette vérité qui, dit saint Thomas,se prend par rapport à l’appétit droit (Somme de théologie, Ia-IIæ, q. 57, a. 5, ad 3um). La fécondité de cette remarque de saint Thomas, qu’il emprunte plus ou moins à Aristote, est très grande. Considérons ici seulement que pour avoir un jugement moral vrai, il faut une volonté droite, rectifiée par la vertu, éloignée de tout ce qui peut infléchir indûment le jugement.

2°/ Pour avoir un jugement droit, il faut commencer par scruter la nature des choses. Il est impossible de recevoir la sainte communion sans être en état de grâce, sans avoir la conscience libre de tout péché mortel. Ce n’est pas l’opinion des théologiens, ce n’est pas une loi positive de la sainte Église, c’est la nature même des choses. Dieu lui-même l’exprime par l’Apôtre saint Paul en des termes acérés : « Car celui qui mange et boit indignement, mange et boit sa condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur » (I Cor. xi, 29). Qui reçoit la communion en état de péché mortel reçoit bien Jésus-Christ physiquement présent sous les espèces du pain, mais ne reçoit pas la grâce sacramentelle. Pis, il profane le sacrement et la présence réelle ; il ne « discerne pas », il n’est pas accordé à un tel don ; il est comme un pourceau devant lequel il ne faut pas jeter de perles (cf. Matth. vii, 6). Il quitte la sainte Table dans un état pire que celui dans lequel il s’en était approché.

Mais, dira-t-on, il est possible de recouvrer l’état de grâce avant même de se confesser, en faisant un acte de contrition parfaite. — Le fait est indéniable, Dieu merci, mais cela est insuffisant pour recevoir sacramentellement le Corps de Jésus-Christ.

La première raison, qu’on croit souvent être la principale ou l’unique, est que l’absolution sacramentelle, ne requérant comme disposition que la contrition imparfaite, apporte une certitude plus grande de la conversion intérieure, d’autant plus que l’aveu du péché est une grande aide pour le regretter en vérité et en profondeur.

Il y a une autre raison, plus fondamentale. Les sacrements sont les sacrements de l’Église catholique ; ils sont institués par Jésus-Christ qui les a confiés à son Église, et qui en a fait une partie constitutive de cette Église. Les sacrements ne sont pas collectifs, ce sont des personnes individuelles qui les reçoivent, chacune suivant ses dispositions ; mais ils demeurent toujours un bien de l’Église. Cela s’applique particulièrement à la sainte Eucharistie : c’est l’Église qui offre le saint Sacrifice, c’est l’unité de l’Église qui en est la finalité. Le péché mortel a blessé le corps mystique, dont on n’est plus qu’un membre mort ; sa guérison doit donc avoir une « dimension ecclésiale » si l’on veut recevoir la sainte Eucharistie, il faut une sorte de « levée d’excommunication ». Autrement dit, il faut que le péché soit, dans le sacrement de Pénitence, soumis au pouvoir des Clefs, présenté au pouvoir de rémission des péchés que possède l’Église.

3°/ La première réparation d’un péché est d’en porter loyalement les conséquences. Accepter les dommages qu’en subit sa réputation est un bon commencement d’expiation.

Le monde entier (et nous avec…) a la tendance opposée : on est bien plus porté à fuir les conséquences du péché qu’à éviter le péché lui-même. Toute l’énergie du monde va dans ce sens : inventer des systèmes pour cacher le péché ou pour en empêcher les conséquences (quitte à considérablement aggraver les choses) ; il n’est pas question de renoncer au péché. En outre, ces systèmes sont un efficace encouragement au péché.

Ne pas pouvoir communier, en porter l’opprobre : ce sont aussi de puissants freins au péché ou à la négligence. Il ne faut surtout pas les anéantir.

4°/ « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés. » Notre tendance est d’attribuer à autrui les sentiments ou les jugements que nous aurions eus à sa place. Les gens qui se laissent aller à observer, évaluer, juger le prochain de façon habituelle (et injuste) sont habités par la crainte qu’on ne leur applique le même traitement. Justice immanente !…

5°/ Si une communauté religieuse ou une paroisse a le nécessaire souci de la liberté spirituelle des âmes, l’avancée vers la sainte Table sera désorganisée de telle manière que le fait de rester à sa place passe plutôt inaperçu. Il reste d’ailleurs la possibilité de se présenter au banc de communion : quand le prêtre approche, on place un doigt devant la bouche comme pour dire Chut ! Le prêtre comprend parfaitement le signe et personne ne s’aperçoit de rien.

6°/ Nous surestimons fortement la nécessité de notre propre réputation, comme si le salut du monde ou la vertu du prochain en dépendait. On doit s’efforcer d’édifier le prochain, certes, mais ce n’est pas du tout en soignant sa réputation qu’on le fait, bien au contraire : les gens ne sont pas si naïfs que cela.

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