Visions, révélations, prophéties

La vie chrétienne est essentiellement surnaturelle ; la grâce sanctifiante est une participation à la vie intime (trinitaire) de Dieu, et tout ce qui en découle en reçoit la marque : foi, espérance, charité, vertus morales surnaturelles, dons du Saint-Esprit, mérites et, après la mort, gloire et béatitude éternelles. Cette vie trinitaire nous est communiquée par Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu incarné et notre Rédempteur, et tout ce qui y conduit est de même essentiellement surnaturel : l’Église son Corps mystique et les sacrements.

Cette vie divine participée est infusée dans la nature humaine, laquelle est spirituelle (âme, intelligence, volonté) et sensible (passions, imagination, sens corporels) : il y a donc nécessairement dans la vie chrétienne un aspect sensible, auquel le Bon Dieu « se plie » (consolation ou désolation, ferveur sensible ou sécheresse, grâces ou épreuves sensibles, visions ou révélations particulières, attraits, miracles, grâces gratis datæ…).

En tous les domaines de la vie spirituelle, la lumière de la foi et la docilité à l’Église sont indispensables pour être guidé par l’Esprit de vérité et fuir les illusions de l’amour-propre. Cependant plus la sensibilité est impliquée, plus la circonspection et le discernement sont nécessaires. En effet, ces manifestations sensibles peuvent être l’effet de la vertu divine, mais elles peuvent encore provenir de notre imagination, et elles entrent aussi dans le champ d’action du démon.

Cette sagacité spirituelle est donc plus que jamais indispensable.

Dans les temps troublés, lorsque la vertu n’est plus favorisée et ni mise à l’honneur, quand la véracité et la loyauté ne sont plus qu’une décoration trompeuse, quand le sentiment se substitue à la foi, et l’intérêt à la prudence…

… alors se multiplient l’appétit du merveilleux, la littérature « imaginariste », la crédulité qui atteint un degré invraisemblable, le besoin d’avoir l’impression de faire partie de « ceux qui savent », un ésotérisme qui ne dit pas son nom : toutes choses qui ravagent et la foi théologale et la raison naturelle.

Immenses sont alors l’urgence d’une bonne connaissance de la doctrine catholique et la nécessité d’un juste discernement.

Nous sommes dans un monde publicitaire, dernier degré (ou presque) de la déchéance humaine et du déshonneur de la création. On ne songe plus à être, mais on s’efforce de paraître ; on ne travaille plus à agir, mais à communiquer ; il ne s’agit plus d’être à sa place et à son devoir quotidien, mais de se mettre en scène sur les réseaux sociaux et à récolter des like ; le but n’est plus de réussir le bien, mais de réussir des sondages et des élections. Le monde exalte les coquilles vides à la langue bien pendue, aux jambes agiles, au cynisme sans vergogne ; il se désintéresse des vertus cachées, de la patiente intelligence des choses, des œuvres portant du fruit dans le temps (et dans l’éternité).

Si la vie chrétienne n’échappe pas à cette contagion du publicitaire, c’est que cette décrépitude est l’effet du péché originel, et qu’elle trouve une forte résonance dans les traces de déchéance qui demeurent en nous après le Baptême.

À toute époque, la préférence pour l’éphémère, le superficiel, le clinquant et le sentimental a détourné du combat à mener contre l’ennemi de la gloire de Dieu, de la royauté de Jésus-Christ et du salut des âmes. Cet ennemi est une armée composée de trois régiments : l’amour-propre, le démon, le monde.

Le Bon Dieu nous sanctifie essentiellement et en permanence par la grâce sanctifiante : celle-ci est l’œuvre de la prière, des sacrements, de la doctrine catholique. Tout cela ressortit à l’ordre surnaturel essentiel (quoad substantiam), hors d’atteinte du démon et incompréhensible pour le monde.

Dieu utilise à l’occasion des moyens accidentels que sont les miracles, les visions, les prophéties, les révélations. Ces moyens d’un ordre plus sensible, auquel il recourt en raison de notre faiblesse, sont, par nature, plus imitables par le démon, plus agréables à l’amour-propre, plus falsifiables par le monde.

Il s’agit donc des visions, révélations et prophéties qui ont surgi tout au long de la vie de l’Église : comment discerner leur authenticité, quel crédit leur accorder, quelle autorité leur reconnaître ?

En soi, le sujet n’est pas primordial : la Révélation publique est close à la mort du dernier Apôtre ; cette Révélation seule est objet de la foi et nécessaire au salut éternel ; cette Révélation seule est transmise, garantie, expliquée et appliquée par le Magistère de l’Église, sans qu’il soit besoin d’une quelconque confirmation extraordinaire. Elle suffit en surabondance pour vivre, demeurer fidèle, se sanctifier et aller au Ciel.

Le sujet n’est pas primordial, mais de fait il peut revêtir une grande importance :

  • d’un côté, Dieu veut que notre adhésion à la vérité surnaturelle, vérité qui dépasse infiniment notre raison, soit raisonnable c’est-à-dire en accord avec la nature de notre intelligence : il assortit donc ces vérités divines de raison de croire, il veut qu’à défaut d’une évidence directe à laquelle notre intelligence ne peut atteindre, ces vérités soient crédibles ;
  • d’un autre côté, la blessure de la nature fait que l’amour-propre trouve partout son aliment, et l’imagination profite de toute occasion pour tenter de supplanter l’intelligence.

Du coup, devant des phénomènes de cet ordre, on navigue facilement entre la crédulité et le mépris, entre l’avidité de l’extraordinaire et le rejet de ce qui peut venir de Dieu en dérangeant notre tranquillité.

En temps de crise et de confusion, lorsque le Magistère de l’Église ne s’exerce plus pour nous guider, lorsque l’ignorance de la doctrine entretient le désordre spirituel, un juste discernement est plus que jamais indispensable, la prudence surnaturelle trouve un surcroît de nécessité.

Pour expliquer la situation invraisemblable en laquelle vit la sainte Église de Dieu, pour échapper aux exigences de la foi, pour éviter les peines d’une fidélité qui demande beaucoup de renoncement, la tentation peut être grande de se réfugier dans de pieuses imaginations sans fondement sérieux, de croire sans discernement à des fables nullement avérées ; pis encore et d’une façon très malsaine, la tentation peut être grande de se repaître de récits d’exorcismes en oubliant que le diable est menteur depuis le commencement.

Le démon est un pur esprit, l’homme s’aveugle facilement pour croire ce qui lui plaît, l’œuvre divine dépasse notre intelligence : autant de facteurs qui font qu’on tombe facilement dans l’erreur et l’illusion. Pour nous garder de celle-ci, il faut saintement exercer la vertu de prudence, cultiver celle d’humilité et étudier la doctrine catholique.

Voilà pourquoi le présent dossier, associant l’exemple des saints, les leçons de l’histoire, et l’enseignement des docteurs, peut servir à éclairer et à affermir les âmes.

Et l’on ne sera pas pour autant à l’abri à coup sûr.

Car, hormis le cas des saintes Écritures divinement garanties en chacun de leur verset, les prophètes peuvent mélanger leur propre production à l’inspiration divine, les voyants peuvent voir d’abord puis se tromper ou affabuler, les saints peuvent défaillir ou être trompés, les âmes privilégiées de Dieu peuvent abuser de leur mission ou la prolonger abusivement.

Le prophète Nathan, vrai prophète de Dieu, n’a-t-il pas, un jour qu’il s’imaginait inspiré comme d’habitude, indûment poussé David à bâtir un temple pour la gloire de Dieu ? Dieu lui-même qui lui apparut pour l’en reprendre, en lui disant qu’il n’avait rien demandé et que c’est au fils de David (Salomon) qu’il confierait cette tâche [II Reg. vii, 1-17].

*

Voici donc un dossier qui, pour rendre service en ces matières difficiles à démêler, réunit divers documents un peu disparates certes mais, au bout du compte, complémentaires.

Le premier est le livre Un mot sur les visions, révélations, prophéties du Père Pouplard s. j. C’est un ouvrage de fond didactique, équilibré, truffé d’exemples historiques tirés de la vie des saints.

Le second est un article très instructif du R. P. Calmel, o. p. : Brumes du révélationisme et lumière de la foi.

Vient ensuite l’étonnante histoire (un vrai thriller) d’une religieuse, la Sœur Marie de la Visitation de Lisbonne, sous le titre Faveur divine, attrape-nigaud ou prestige diabolique ? De grands personnages et de cruels évènements y apparaissent.

Le commentaire des Règles du discernement des esprits (Discretio spirituum) donné par le R. P. Barrielle, c.p.c.r., prend la suite.

Pour éviter de se laisser égarer, il faut avoir présentes à l’esprit quelques précisions :

– la vie de la grâce est par nature insensible ; l’état de grâce, l’effet des sacrements, la lumière de la foi sont au-delà des sens et même au-delà de toute connaissance naturelle. Lorsque Dieu donne quelque signe sensible de sa présence ou de son action, ces manifestations (extra-ordinaires) sont bien inférieures à la grâce elle-même, même si c’est une bonté spéciale de Dieu de venir au secours de notre faiblesse. Il faut donc se garder d’estimer davantage ces manifestations sensibles que la grâce qui nous rend enfant de Dieu et qui nous fait accomplir le bien par amour pour lui ;

– la vocation sacerdotale ne consiste pas dans l’attrait pour l’état clérical, ni dans la volonté de se consacrer à Dieu, ni dans la persévérance au séminaire. La vocation sacerdotale est l’appel de l’Église (par la voix de l’évêque nommé par le Pape) aux saints ordres. On ne peut donc perdre la vocation, mais on peut être infidèle à une pré-vocation, à l’ensemble des grâces qui conduisaient à répondre à cet appel (grâce du saint désir de travailler au service direct de l’Église, grâce d’acquérir les aptitudes intellectuelles et les vertus morales nécessaires, grâce de persévérer dans cette voie) ;

– la vie mystique est la vie spirituelle dans laquelle prédominent les dons du Saint-Esprit. Ces dons, en rendant docile aux inspirations du Saint-Esprit, font pratiquer les vertus chrétiennes à l’imitation de Jésus-Christ : non seulement parce qu’on fait habituellement et généreusement le bien surnaturel, mais aussi parce que la manière de faire ce bien est divinement ennoblie. Cette vie mystique est indépendante de tout phénomène extraordinaire ; elle est le développement normal de la grâce baptismale. Elle est cependant rare, car elle suppose une purification de la sensibilité que bien peu de chrétiens ont la générosité d’accepter de grand cœur, et elle grandit par une purification de l’esprit plus exigeante encore.

L’énoncé de trois lois générales de l’Église, concernant les faits extraordinaires et leur publication, manifeste la prudence très grande que l’Église déploie en ces matières.

Un recueil (embryonnaire) de décrets et décisions particulières de l’Église complète l’énoncé des lois générales. C’est que la docilité à l’Église, qui est guidée par l’assistance du Saint-Esprit et par son expérience bi-millénaire, nous est nécessaire : on se laisse si facilement tromper soit quant aux faits, soit quant à l’origine des faits, soit quant à la portée des faits ou encore quant à l’importance à leur donner.

Enfin, pour clore cette série, vous trouverez deux textes sur la fameuse prophétie des Papes attribuée à saint Malachie : une étude du Chanoine Cristiani parue dans L’Ami du clergé et son résumé.

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