Infaillibilité des lois disciplinaires générales

La sainte Église catholique subit une sorte de disgrâce, en ce sens que ses membres – les fidèles de Jésus-Christ – ignorent trop souvent sa nature exacte (d’être le Corps mystique de Jésus-Christ), sa triple mission (qui fonde son triple pouvoir d’enseigner, de sanctifier et de gouverner) et ses prérogatives (l’indéfectibilité, l’infaillibilité, la visibilité). Aussi, dans les difficultés qui accompagnent sa vie militante sur cette terre, ils réagissent parfois ou souvent de façon anarchique voire hétérodoxe.

Voici donc quelques éléments qui établissent une qualité, bien méconnue et pourtant certaine, qu’elle possède en vertu de son origine divine et de l’assistance permanente que lui accorde le Saint-Esprit.

Dans l’établissement des lois disciplinaires générales, l’Église catholique ne peut pas se tromper. Bien évidemment, il s’agit là d’une infaillibilité pratique, qui garantit que la loi n’est ni mauvaise, ni nocive, ni insupportable ; autrement dit, qui garantit que celui qui s’y conforme est (en cela) dans la voie du salut éternel.

Il ne s’agit pas directement d’une infaillibilité doctrinale (ça n’aurait guère de sens), bien que les présupposés ou les conséquences d’ordre doctrinal desdites lois soient ainsi garantis.

Cette infaillibilité ne garantit pas que la loi est la meilleure en soi, elle garantit que la loi est bonne.

Parce que l’infaillibilité est pratique, elle n’empêche pas l’autorité légitime et compétente de l’Église de modifier ses lois ; nous sommes assurés que, à l’instar de l’ancienne, la nouvelle loi est bonne.

Comme cette vérité est parfois profondément méconnue, voici quelques documents du Magistère qui l’enseignent sans équivoque (et auxquels, soit dit en passant, font écho tous les manuels classiques de théologie).

  • Pie VI, Auctorem fidei (condamnation du concile de Pistoie). Denzinger 1578 ; Enseignements pontificaux, l’Église (Solesmes) n° 122 :
    Une proposition de ce concile « pour autant qu’en raison des termes généraux utilisés, elle inclut et soumet à l’examen prescrit même la discipline établie et approuvée par l’Église, comme si l’Église, qui est régie par l’Esprit de Dieu, pouvait constituer une discipline, non seulement inutile et trop lourde à porter pour la liberté chrétienne, mais encore dangereuse, nuisible, et conduisant à la superstition et au matérialisme » est condamnée comme « fausse, téméraire, scandaleuse, pernicieuse, offensante aux oreilles pies, injurieuse à l’Église et à l’Esprit de Dieu qui la conduit, pour le moins erronée ».
  • Grégoire XVI, Quo graviora, dans les Enseignements pontificaux, l’Église (Solesmes) n° 173 :
    « Est-ce que l’Église qui est la colonne et le soutien de la vérité et qui manifestement reçoit sans cesse du Saint-Esprit l’enseignement de toute vérité, pourrait ordonner, accorder, permettre ce qui tournerait au détriment du salut des âmes, et au mépris et au dommage d’un sacrement institué par le Christ ? »
  • Léon XIII, Testem benevolentiæ, dans les Enseignements pontificaux, l’Église (Solesmes) n° 631 :
    « Toutefois ce n’est pas au gré des particuliers, facilement trompés par les apparences du bien, que la question se doit résoudre : mais c’est à l’Église qu’il appartient de porter un jugement, et tous doivent y acquiescer, sous peine d’encourir la censure portée par notre prédécesseur Pie VI. Celui-ci a déclaré la proposition 78 du Synode de Pistoie injurieuse pour l’Église et l’Esprit de Dieu qui la régit, en tant qu’elle soumet à la discussion la discipline établie et approuvée par l’Église, comme si l’Église pouvait établir une discipline inutile et trop lourde pour la liberté chrétienne. »

Cette infaillibilité est spécialement garantie quand il s’agit de la liturgie sacramentelle.

« Concile de Trente, Denzinger 856, Enseignements pontificaux, l’Église (Solesmes) n° 675 : « Si quelqu’un dit que les rites reçus et approuvés de l’Église catholique, en usage dans l’administration solennelle des sacrements, peuvent être méprisés ou omis sans péché au gré des ministres […] qu’il soit anathème. »

Encore une petite précision. Dans les lois disciplinaires générales, l’Église est infaillible non seulement en ce qu’elle ordonne, mais aussi en ce qu’elle permet. C’est ce qu’enseigne au passage le Pape Grégoire XVI.

On ne peut donc nier ou récuser en droit cette infaillibilité sous le vain prétexte : cette pratique (ou ce rite) n’est pas obligatoire ; ce n’est que permis. Il n’y a donc aucune garantie.

Ou alors il faudrait admettre qu’on puisse dire (par exemple) : il n’est pas impossible que l’Église autorise la polygamie ; l’infaillibilité pratique garantit seulement qu’elle ne l’imposera pas… On voit l’aberration où cette argutie pourrait mener.

Voici, en confirmation de cette vérité certaine deux textes de Dom Guéranger et quelques extraits de théologiens classiques.

  • Dans les Institutions liturgiques tome II page 10 (ed. 1878) à propos de la contestation de lois liturgiques, Dom Guéranger écrit : « autrement, il faudrait dire que l’Église aurait erré sur la discipline générale, ce qui est hérétique. »
    « La discipline ecclésiastique est l’ensemble des règlements extérieurs établis par l’Église.
    « Cette discipline peut être générale, quand ses règlements émanent du pouvoir souverain dans l’Église avec l’intention d’obliger tous les fidèles, ou du moins une classe de fidèles, sauf les exceptions accordées ou consenties par le pouvoir qui proclame cette discipline.
    « Elle est particulière, quand les règlements émanent d’une autorité locale qui la proclame dans son ressort.
    « C’est un article de la doctrine catholique que l’Église est infaillible dans les règlements de sa discipline générale, en sorte qu’il n’est pas permis de soutenir, sans rompre avec l’orthodoxie, qu’un règlement émané du pouvoir souverain dans l’Église avec l’intention d’obliger tous les fidèles, ou au moins toute une classe de fidèles, pourrait contenir ou favoriser l’erreur dans la foi, ou dans la morale.
    « Il suit de là que, indépendamment du devoir de soumission dans la conduite imposé par la discipline générale à tous ceux qu’elle régit, on doit encore reconnaître une valeur doctrinale dans les règlements ecclésiastiques de cette nature.
    « La pratique de l’Église confirme cette conclusion. En effet, nous la voyons souvent dans les conciles généraux, dans les jugements apostoliques, appuyer ses décisions en matière de foi sur les lois qu’elle a établies pour le gouvernement de la société chrétienne. Telle pratique qui représente une croyance est gardée universellement dans l’Église ; donc, la croyance représentée par cette pratique est orthodoxe : puisque l’Église ne saurait professer l’erreur, même indirectement, sans perdre la note de sainteté dans la doctrine, note qui lui est essentielle jusqu’à la consommation des siècles. […]
    « La discipline est donc en relation directe avec l’infaillibilité de l’Église, et c’est là déjà une explication de sa haute importance dans l’économie générale du catholicisme. »
    Dom Prosper Guéranger, « Troisième lettre à Mgr l’évêque d’Orléans », in Institutions liturgiques, deuxième édition, Palmé, 1885, vol. 4, pp. 458-459.
  • Le Cardinal Billot :
    « Thèse xii : La puissance législative de l’Église a pour matière aussi bien ce qui concerne la foi et les mœurs que ce qui concerne la discipline. En ce qui concerne la foi et les mœurs à l’obligation de la loi ecclésiastique s’ajoute l’obligation de droit divin ; en matière disciplinaire toute obligation est de droit ecclésiastique. Cependant à l’exercice du suprême pouvoir législatif est toujours attachée l’infaillibilité, dans la mesure où l’Église est assistée de Dieu pour que jamais elle ne puisse instituer une discipline qui serait de quelque façon opposée aux règles de la foi et à la sainteté évangélique. » (Card. Billot, De Ecclesia Christi, Rome, 1927, tome I, p. 477)
  • R. P. Herrmann c.ss.r. Institutiones Theologicæ Dogmaticæ avec l’approbation personnelle de saint Pie X, Vol. i, n° 258 : « L’Église est infaillible dans sa discipline générale.
    « Par sa discipline générale on entend ses lois et ses instituts qui concernent le gouvernement externe de toute l’Église. Par exemple, ce qui concerne le culte externe, telles la liturgie et les rubriques, ou l’administration des sacrements…
    « L’Église est dite infaillible dans sa discipline, non pas comme si ses lois fussent immuables, car le changement des circonstances rend souvent opportun d’abroger ou de changer les lois ; et non plus comme si ses lois disciplinaires fussent toujours les meilleures et les plus utiles… L’Église est appelée infaillible dans sa discipline dans le sens que dans ses lois disciplinaires il ne peut rien se trouver qui soit opposé à la foi, aux bonnes mœurs ou qui puisse agir au détriment de l’Église ou au préjudice [« damnum »] des fidèles.
    « Que l’Église soit infaillible dans sa discipline s’ensuit de sa mission même. La mission de l’Église est de conserver intègre la foi et de mener les peuples au salut en leur apprenant à observer tout ce que le Christ a ordonné. Mais si en matière disciplinaire elle pouvait stipuler, imposer ou tolérer ce qui est contraire à la foi ou aux mœurs, ou ce qui tournerait au détriment de l’Église ou au préjudice des peuples, l’Église pourrait dévier de sa mission divine, ce qui est impossible.
    « Ceci est insinué par le Concile de Trente, Sess. xxii, can. 7 : « Si quelqu’un dit que les cérémonies, les ornements et les signes externes que l’Église catholique emploie dans la célébration des messes sont des stimulants plutôt d’impiété que des secours de la piété, qu’il soit anathème. » Et par Pie VI dans la constitution Auctorem Fidei, concernant la 78eproposition de Pistoie : « Comme si l’Église, qui est gouvernée par l’Esprit de Dieu, pouvait établir une discipline non seulement inutile et plus lourde que la liberté chrétienne ne peut tolérer, mais qui serait en plus dangereuse, nocive, propre à induire en superstition ou en matérialisme. » — proposition qu’il a condamnée comme « fausse, téméraire, scandaleuse, pernicieuse, offensive aux oreilles pies, etc. »
    « L’infaillibilité de l’Église doit également s’étendre à tout enseignement dogmatique ou moral, pratiquement inclus dans ce qui est condamné, approuvé ou autorisé par la discipline générale de l’Église. […]
    « C’est une conséquence rigoureuse de l’enseignement néo-testamentaire. Car l’infaillibilité garantie par Jésus à son Église, selon le texte de Matthieu, xxviii, 20, s’appliquant à tout enseignement réellement et efficacement donné par le magistère ecclésiastique, doit également s’appliquer à tout enseignement nécessairement inclus dans les lois, pratiques ou coutumes établies, approuvées ou autorisées par l’Église universelle, cet enseignement pratique ou indirect étant, surtout pour une autorité en elle-même infaillible, tout aussi réel et efficace que l’enseignement doctrinal direct. » Dublanchy, article Église, in Dictionnaire de théologie catholique, col. 2197.
    « Les enseignements implicites et infaillibles du magistère ordinaire nous sont fournis par les pratiques universelles de l’Église, par les liturgies, dans ce qu’elles ont de commun, et par les lois générales de l’Église. Tous les actes conformes à ces pratiques, à ces liturgies ou à ces lois sont sanctionnés par les dépositaires de l’infaillibilité ; ils ne peuvent, par conséquent, être mauvais, ni nous détourner du salut. Chaque fois donc, que ces actes supposent manifestement la vérité d’une doctrine, il y a proposition implicite de cette doctrine par l’Église […] Les usages universels de l’Église qui ont un but marqué, comme les rites des sacrements et du Saint Sacrifice, manifestent, d’une autre manière, la foi infaillible de l’Église. Celle-ci ne les emploie, en effet, que parce qu’elle croit à leur efficacité. Il faut admettre, par exemple, que l’Église regarde la matière et la forme usitées dans l’administration des divers sacrements comme capables d’en produire les effets, et qu’elle ne se trompe pas sur ce point. » Le magistère ordinaire de l’Église et ses organes, par J.-M.-A. Vacant, 1887.

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