C’est à cette question d’une grande gravité que répond l’article que le chanoine René Le Picard, docteur ès droits canonique et civil, a publié dans l’Ami du Clergé en 1947, et dont vous trouverez la transcription intégrale dans le texte joint ci-dessous à cette entrée (étant excepté un post-scriptum hors sujet).
Cette gravité est tout d’abord objective ; elle tient à l’objet lui-même, puisque la loi civile sur le divorce, prolongeant l’œuvre impie des lois instaurant le « mariage civil », a été et demeure un des grands fers de lance de la secte tant contre la civilisation chrétienne – dont l’un des principaux fondements est la sainteté du mariage – que directement contre le salut éternel des âmes que ces lois entraînent dans des situations propres à engendrer le désespoir.
Mais la gravité de la question est aussi subjective, en ce sens que l’esprit de nombreux catholiques – je n’excepte pas ceux qui font profession d’être intégralement fidèles à la tradition de l’Église – est affecté par deux faiblesses.
En premier lieu, il faut placer l’ignorance : non pas la simple nescience, ni l’ignorance des caractéristiques et des devoirs essentiels de l’état de mariage, mais l’ignorance du droit public du mariage. Certes, nul n’est obligé d’avoir une connaissance approfondie du droit de l’Église et de ses rapports au droit civil, à moins que son devoir d’état ne le requière. Cette ignorance est donc d’ordinaire de peu de conséquence ; mais il en va tout autrement quand les ignorants se mêlent de donner des conseils, d’inciter des proches en situation conflictuelle à demander le divorce, ou de trancher des cas pour lesquels ils devraient se savoir incompétents : malgré qu’ils en aient, leur responsabilité est gravement engagée.
En second lieu, il faut regretter l’incapacité à envisager un problème dans la perspective du bien commun. L’anarchie dont nous souffrons n’est pas simplement un péril extérieur pour la foi et pour la pratique catholique, elle est un péril intérieur par la disparition progressive de la justice générale, partie de la vertu de justice qui nous ordonne au bien commun et nous y fait travailler. On a perdu de vue non seulement que le bien commun l’emporte sur le bien personnel, mais encore que le bien commun est, pour chacun des membres de la société, sa propre perfection : tant par les conditions extérieures qu’il assure que parce que – en raison de la nature foncièrement sociale de l’homme – il est objet de la vertu de chacun et la fin des membres.
Cette méconnaissance de la primauté du bien commun et cet individualisme ravageur ne datent pas d’aujourd’hui, nous en avons le témoignage de l’auteur de l’article présenté qui le déplore à plusieurs reprises et qui y voit l’une des causes principales du laxisme qu’il combat de façon très argumentée et très concrète.
En particulier, il y a grand dommage au bien commun, scandale pour la société et pour le prochain, et grand péril pour les protagonistes, de demander la suppression du lien civil (et des obligations conséquentes) d’un vrai mariage : cela n’est donc jamais permis, tout au moins dans les pays où existe le statut de « séparation de corps » (qui est déjà par elle-même un acte bien grave, sur lequel l’Église a légiféré avec beaucoup de sévérité – canons 1128-1132 – mais ce n’est pas notre propos d’aujourd’hui).
Il faut dire que les prétentions de l’État antichrétien ont tout embrouillé.
Le mariage est une institution divine naturelle, un contrat sacré parce que Dieu lui-même, en créant la nature humaine, en a marqué les propriétés essentielles : unité, indissolubilité, fécondité.
Notre-Seigneur Jésus-Christ n’a en rien supprimé le mariage naturel ni ses propriétés : il les a restaurés dans leur plénitude et leur a donné une fermeté plus grande. Surtout, il a élevé le mariage à la dignité de sacrement, c’est-à-dire qu’il en a fait l’instrument de sa grâce et le canal des mérites de sa Passion.
C’est ainsi que tout mariage valide entre deux baptisés est nécessairement un sacrement ; c’est ainsi que la juridiction sur le mariage des baptisés appartient à l’Église catholique, et à elle exclusivement.
C’est ici qu’interviennent l’équivoque et l’usurpation du « mariage civil ». Il est la mainmise outrageante sur le mariage chrétien, et il n’est même pas le mariage naturel (bien qu’il puisse l’être, entre des non-baptisés).
Mais la malice du prétendu « mariage civil » ne doit pas cacher que le mariage a une nature et des effets civils et doit en avoir, et qu’il est du rôle de l’État de les organiser et de les garantir : c’est là une exigence du bien commun due au fait que le mariage est par nature social et public.
La loi du divorce est abominable, non seulement parce qu’elle est la négation de l’indissolubilité du Mariage et l’organisation « légale » de l’adultère, mais aussi parce qu’elle prétend supprimer les effets civils des vrais mariages. C’est pour cela qu’imaginer qu’on y peut recourir à condition de proclamer l’indissolubilité du mariage et d’être résolu à ne pas « se remarier », comme on l’affirme bien souvent, c’est oublier non seulement le scandale et la tentation, mais aussi le dommage au bien commun qu’est la destruction de l’existence civile du mariage et de ses effets.
Une dernière chose. L’article du chanoine Le Picard (et le livre dont il est un résumé) commencent à être anciens (1946−1947), et l’on pourrait craindre que les arguments et conclusions n’en soient caduques. Il n’en est rien. Certes, la législation a évolué dans le sens du laxisme et de l’égalitarisme, mais si cette évolution a un impact sur la question qui nous occupe, c’est dans le sens du renforcement des arguments et conclusions de l’auteur.