Évocation thomiste

Extraits ordonnés de La philosophie bergsonienne de Jacques Maritain. Marcel Rivière, Paris 1914

Les initiations à la philosophie de saint Thomas d’Aquin sont nombreuses bien que d’inégales valeurs. Leur intérêt et réel, à la double condition qu’elles ne gauchissent ni ne superficialisent pas la philosophie, et surtout qu’elles ne détournent pas d’aller directement lire les œuvres de saint Thomas.

Elles sont une introduction – bien nécessaire si l’on ne bénéficie pas de l’irremplaçable tradition vivante apportée par un maître de chair et d’os – mais elles ne doivent être qu’une introduction : il s’agit d’ouvrir la porte, et non de prétendre remplacer la maison.

Voici une de ces initiations qui, bien qu’elle n’ait pas été conçue ad hoc par son auteur, répond à ces deux critères. Elle nécessite quelque peine et réflexion, de la constance aussi : en cela elle initie à la véritable intelligence des choses, laquelle ne va jamais sans labeur et sans persévérance.

En guise d’introduction…

« Je raconte ici comment se produisit […] ma rencontre avec saint Thomas d’Aquin.

« J’avais fait ma classe de philosophie sans entendre jamais prononcer son nom. […] On dira : — Bien sûr, le lycée de la République n’allait pas vous parler du thomisme… Ah, pardon, dire cela serait se tromper doublement. Il n’est pas naturel, il ne va pas de soi que le lycée républicain occulte, en classe de philosophie, une philosophie aussi importante. Mais secondement, en dehors du lycée on ne m’en avait point parlé non plus. J’étais d’une famille catholique ; pratiquante ; avec de « bons livres ». J’étais scout, chez les « sdf », c’est-à-dire les catholiques, avec à la fin plus de dix-huit badges, parmi lesquelles toutes les badges de religion préparées et passées avec l’aumônier, un prêtre de grande foi bien instruite […] et pourtant je ne connaissais pas même de nom saint Thomas et le thomisme. […]

« C’est à la bibliothèque de la faculté des Lettres que j’ai rencontré saint Thomas […]. Le livre d’un auteur inconnu de moi, ouvert par hasard, m’indiqua que le thomisme existait.

« J’avais inconsidérément accepté de faire un exposé sur la pensée de Bergson, dont je ne savais à peu près rien. Je cherchais au catalogue quelque ouvrage qui pût m’en fournir un résumé, selon la méthode détestable […] qui consiste à étudier non pas une œuvre mais ce que les commentateurs ont écrit sur elle. […] Donc, parcourant la bibliographie, je tombai sur un titre qui comblait ma recherche : La philosophie bergsonienne, et en un seul volume, une chance ! L’auteur m’importait peu et d’ailleurs m’était inconnu. Ma vraie chance pourtant fut que c’était l’édition de 1914 du livre de Maritain, celle où les exposés de la « théorie bergsonienne » étaient suivis ou entrelardés de petits catéchismes de philosophie thomiste sur les mêmes sujets : la doctrine de saint Thomas sur la perception intellectuelle ; sur la nature et les perfections de Dieu ; l’âme et le corps dans la philosophie chrétienne ; la doctrine scolastique de la liberté. Du coup je laissai tomber tout ce qui concernait Bergson (et ne fis jamais mon exposé) ; je ne vis plus que ces abrégés de thomisme ; j’avais été immédiatement conquis par le déferlement d’une évidence. Le catholique en moi et le maurrassien découvraient d’un même pas l’énoncé irréfragable de la vérité : une vérité totale, venant embrasser, compléter, organiser, couronner des vérités jusque-là inarticulées les unes aux autres. »

Jean Madiran

Maurras. Nouvelles éditions latines, Paris 1992, pp. 20-22.

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